Vers un nouveau paradigme de l’engagement ?
L'engagement des collaborateurs représente un défi majeur pour les organisations contemporaines. Malgré des investissements sans précédent dans l'amélioration du cadre de travail – allant du télétravail à la flexibilité, en passant par la Qualité de Vie au Travail (QVT) et l'engagement sociétal – l'écart entre les aspirations individuelles et les objectifs organisationnels ne cesse de se creuser.
Le désalignement des valeurs et la perte de sens, des données qui interpellent :
Les statistiques récentes mettent en lumière une divergence significative des perceptions :
Engagement global : Selon une étude de Gallup (2024), seulement 21 % des salariés dans le monde se déclarent pleinement engagés.
Valeurs : La DARES (2023) révèle qu’un salarié sur deux ne partage plus les valeurs de son organisation.
Manque de sens : Une étude Malakoff Humanis (2023) indique que 64 % des salariés estiment que leur travail manque de sens, alors que, paradoxalement, 71 % des dirigeants pensent offrir des missions porteuses de valeurs.
Le travail ne se limite plus à une activité purement instrumentale : il est désormais perçu comme un espace d'épanouissement, de cohérence et de contribution. Cette transformation suggère que les modèles managériaux traditionnels peinent à s'adapter aux besoins et attentes des travailleurs.
Le Management à l’épreuve du sens :
Le modèle managérial actuellement dominant mobilise encore largement les leviers classiques de motivation dans les entreprises : rémunération, reconnaissance, avantages, cohésion d'équipe, perspectives d'évolution.
Hérité d’une époque où l’engagement se mesurait principalement à travers la productivité et la loyauté, il a longtemps permis de fidéliser les collaborateurs, de renforcer la performance collective et de structurer la culture d’entreprise autour de la réussite commune.
Mais ce modèle repose sur une lecture incomplète des attentes réelles et contemporaines des salariés. Les politiques de motivation s’appuient encore majoritairement sur des indicateurs quantitatifs — performance, absentéisme, turnover, satisfaction — sans parvenir à saisir les mécanismes intrinsèques qui nourrissent l’engagement : le sens, la liberté d’agir, le sentiment d’utilité ou de contribution.
Ce décalage entre les pratiques managériales et les attentes des collaborateurs est révélé par l'étude OpinionWay pour Empreinte Humaine (2023) : 76 % des dirigeants estiment comprendre les motivations de leurs équipes, alors que seulement 38 % des salariés se disent en phase avec la vision managériale de leur entreprise.
Cette persistance relève moins de l'intentionnalité ou d'une obstination à perpétuer un modèle, que d'un déficit de dialogue et de processus participatif autour de la finalité même du travail et de la valeur qui lui est conférée par chacun.
Au sein de nombreuses organisations, les échanges autour du sens et de la motivation reposent encore sur des outils standardisés et des modèles génériques : enquêtes internes, entretiens annuels et baromètres sociaux. S’ils conservent leur utilité, ces dispositifs traduisent souvent une conception trop rationnelle et quantitative du lien au travail, où la motivation est traitée comme une variable à mesurer, plutôt que comme une dynamique humaine et qualitative.
De la reconnaissance à la contribution :
Il en résulte un écart d’interprétation manifeste : Les organisations tentent de renforcer la motivation par l’amélioration des conditions matérielles et des avantages extrinsèques, tandis que les individus recherchent avant tout une cohérence forte entre leurs valeurs personnelles, leurs missions et leur contribution globale.
Ce décalage ne doit pas être lu comme une perte d'intérêt pour le travail, mais comme l'affirmation d'une évolution majeure des moteurs de la motivation : du besoin de reconnaissance au désir d'utilité, de sens et de cohérence. Cette tendance pourrait bien marquer l'amorce d'un véritable changement de paradigme.
Cette transformation des attentes est confirmée par l'analyse du Boston Consulting Group (BCG, 2023) qui a identifié trois ressorts majeurs pour stimuler l'engagement durable :
Le Besoin de sens : Relier l’action quotidienne à une finalité concrète (client, société, environnement). L'entreprise doit valoriser l'impact positif du travail accompli.
Le Besoin d’autonomie : Remplacer le management du contrôle par le management de la confiance, en accordant une liberté d'action et en encourageant l'initiative.
Le Besoin de contribution : Permettre aux collaborateurs de voir et de mesurer l’impact de leurs actions au sein du collectif, rompant ainsi avec le rôle de simple exécutant.
Alignement individuel et collectif :
La divergence entre la quête de sens personnelle des salariés et la nécessité de performance de l'entreprise est une tension naturelle. Elle a été théorisée par :
La Théorie de l’Agence (Jensen & Meckling, 1976), qui décrit la tension entre le principal (l’entreprise) et l’agent (le salarié) face à la divergence d’intérêts.
La Théorie de l’Autodétermination (Deci & Ryan, 1985), qui souligne que la motivation naît de la satisfaction de trois besoins fondamentaux : autonomie, compétence et appartenance (ou affiliation/relation). L’absence de satisfaction de ces besoins fragilise l'engagement, quelles que soient les incitations externes.
La Théorie des Systèmes Socio-techniques (Emery & Trist, 1951), qui rappelle que la performance durable dépend de l’équilibre entre la logique technique (efficacité) et la logique sociale (coopération et sens du travail).
La Création de Valeur Partagée (Creating Shared Value) (Porter & Kramer, 2011), qui propose une piste stratégique : les entreprises créent davantage de valeur économique en répondant simultanément à des besoins humains et sociétaux. Sens et performance ne s’opposent pas, ils se renforcent mutuellement.
L'enjeu n'est pas de contraindre une réduction des divergences. Il réside désormais dans la capacité à faire coexister productivement les aspirations individuelles et les objectifs organisationnels, en construisant des repères communs autour de la création de valeur et de la contribution réciproque.
Le Bilan de Compétences, un outil d'alignement stratégique :
Dans cette optique, le bilan de compétences acquiert une nouvelle dimension. Au-delà de l’accompagnement à la transition professionnelle, il devient un véritable outil de réflexion, de médiation et d’alignement stratégique entre les aspirations individuelles et les réalités organisationnelles. Il permet de construire un espace d'engagement et de convergence mutuels en clarifiant le sens et la valeur que l'individu et l'organisation souhaitent accorder au travail. Pour plus d’informations sur le bilan de compétences, lire l’article “ Bilan de compétences : Quels intérêts pour les entreprises ? “ accessible ici.
Vers un nouvel engagement au travail :
La quête de sens est un changement de paradigme qui redéfinit notre approche du travail. Il doit représenter un espace de conjonction entre la contribution individuelle et l'intérêt collectif.
La compréhension du sens au travail, de la contribution, et de l'accomplissement impose d'entreprendre une réflexion commune sur la corrélation entre objectifs individuels et finalités collectives, reconnaissant ainsi pleinement la valeur commune de chaque apport.
Le bilan de compétences s'affirme comme l'outil privilégié par les entreprises pour identifier les conjonctions indispensables entre organisation et salariés, et définir les points de convergence.
Mon prochain article, intitulé « Et si le sens n’était pas à trouver, mais à construire ? », approfondira l’idée d’un sens professionnel co-construit, articulé autour de valeurs communes, d’une vision partagée et d’orientations collectives pour l’action.